La magie évaporée #extrait 10 Une anonyme au bout du fil

Quelques jours plus tard…

Tout est allé très vite et finalement c’est sans doute mieux ainsi.

Dans l’urgence des événements on s’aperçoit moins de la douleur que l’on ressent et de tout ce qu’on laisse derrière soi, comme une anesthésie salvatrice administrée par le cœur pour limiter les dégâts. Elle voit, dans une sorte de brouillard, des gens émus tout autour mais se sent vide à l’intérieur. Elle qui n’avait vécu qu’ici, dans ce petit village bourbonnais à 30 km de Vichy, avait, à cet instant l’impression de partir dans une mégalopole hostile.

Et surtout, Juliette ne comprenait pas la soudaineté de cette décision, d’autant que son père ne semblait pas emballé du tout !Il faut dire que Noël, bien que père et mari, vit souvent en marge de sa femme et de ses filles.

Depuis toujours, son travail l’emmène à travers le globe pour des missions pédagogiques dont Juliette ne saisit pas grand-chose. Les trois filles de la maison vivent donc régulièrement seules.

Quand il rentre, ce sont des cadeaux qui l’accompagnent, on fait des gâteaux, on se réjouit d’être ensemble, puis lorsqu’il repart ça va aussi, ce n’est pas triste, c’est juste la routine.

Depuis qu’il est parti travailler à Angers, en fin de compte, la vie n’est guère différente. Il y passe quatre jours par semaine, le reste du temps il est à la maison, vient chercher les filles – à l’école pour la petite, au collège pour la grande.

Et puis, le couple des parents bat de l’aile, depuis longtemps, depuis toujours peut-être, des cris des disputes, des portes qui claquent et se brisent.

Des fausses notes dans la partition, de plus en plus dissonantes dans sa comptine. Juliette est angoissée depuis plusieurs années déjà, depuis le départ de Gianni, elle dort mal, fait des cauchemars.

On l’emmène voir une sophrologue, au parfum de mûre sauvage, pour se bander les yeux en se prétendant que le problème ne vient pas nous, pour faire semblant. C’est la ligne de conduite de l’ensemble de cette famille, de génération en génération : donner le change, mentir aux autres mais surtout à soi, pour ne pas affronter la noirceur et la solitude.

Alors ce samedi de décembre, elle apprend d’un coup à sourire lorsqu’elle a envie de pleurer, à dissimuler comme tous semblent savoir le faire avec une facilité déconcertante.

Et surtout, faire en sorte que France n’arrive plus à déchiffrer son regard.

Jusqu’à présent la vie de Juliette, malgré tous les chaos tout autour, lui semblait magique. Elle voyait l’éclat de toutes les couleurs de l’arc en ciel, percevait plus fort la magie des saisons, de la nature, la bienveillance de la lune, la force du soleil.

Elle vibrait d’émotion et de spontanéité comme seuls savent le faire les enfants, avant de devenir adultes et oublier…Et pourtant rien n’est plus tranché alors que les notions de bien et de mal, de bonheur et de malheur.

Mais alors elle va où la magie quand on grandit ?

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