Rancune et mains sales #extrait 17 Une anonyme au bout du fil

De retour à Angers, elle comprend assez vite qu’ils n’ont pas laissé cette histoire en bas des pistes mais ont ramené dans leurs bagages une froide rancœur vexée.

Juliette sent leurs regards hostiles la suivre dans les couloirs, en ressent la morsure dans son dos.

Elle fait mine de les ignorer, ça passera…

Mais un vendredi après-midi, dernière heure, alors qu’elle est en retard pour le cours de Dessin, elle croise trois types dans l‘escalier isolé qui mène à l’atelier.

Merde !!!FX…

En quelques secondes ils l’encerclent, se rapprochent.

Elle perçoit derrière le rictus dessiné sur chacun de leurs visages prépubères, l’excitation du pouvoir qu’ils ressentent à cet instant d’être en nombre face à cette fille qui a eu l ’audace de rejeter l’un d’eux.

Juliette se crispe et essaie de les repousser mais sent déjà des mains qui passent le long de son dos, descendent sur ses fesses, d’autres sur son ventre, ses seins, comme un monstre diabolique aux innombrables bras et au visage mauvais.

─ Putain ! Mais lâchez-moi, bande de connards !!

─ C’est ça, salope, t’inquiète on t’attend dehors !

Et ils détalent en dévalant les escaliers.

Juliette, sonnée, cherche son souffle…quelques minutes passent.

Puis, hagarde, elle monte les quelques marches en colimaçon qui la séparent encore de l’atelier d’Arts Plastiques.

Personne ne lui fait remarquer son retard, elle se glisse à la table de 4 le plus éloignée de la prof, à côté de sa meilleure copine, Lucille.

Celle-ci remarque très rapidement les yeux rougis de Juliette, qui essaie pourtant d’endiguer le torrent qui menace.

A voix chuchotées, Lucille réussit à extirper la vérité à une Juliette qui craque, raconte l’incident et la morsure de la honte.

Sans un mot, elle voit Lucille se lever, passer de table en table et y rester quelques instants, en parlant tout bas mais avec animation.

La prof ne dit rien ; ici, c’est un espace de liberté et d’expression, les mouvements d’élèves sont fréquents.

Juliette n’osant plus lever les yeux de peur de croiser un regard moqueur ou apitoyé, essaie de focaliser son attention sur son travail en cours : une toile avec de la peinture projetée à la brosse à dents.

Le temps semble figé puis s’accélère, la cloche sonne trop vite, trop tôt pour qu’elle soit prête à affronter un nouveau round.

Juliette préférerait passer le week-end dans la chaleur réconfortante de cette salle, avec les odeurs de peinture, de bois et térébenthine qui flottent dans l’atmosphère mais se dit que, quitte à sortir, il vaut mieux se noyer dans la masse des élèves.

Résignée, mimétique, elle range ses affaires, enfile sa veste et s’apprête à sortir quand sa prof l’interpelle :

─ Juliette ? Tu peux rester deux minutes ?

Et merde ! jure Juliette en son for intérieur

Les derniers retardataires sortent, elles sont seules.

─ Ça ne va pas, tu veux en parler ?

Non, Madame, je ne veux pas parler, je veux juste me tirer pour éviter que les trois connards de 5eme G me coince à la sortie, a-t-elle envie de balancer, mais au lieu de ça, elle bafouille :

─ Non, y’a rien, c’est gentil…

Que cette journée se termine s’il vous plaît ! prie t’elle en dedans.

La prof sourit avec bienveillance et dit :

─ Tu sais où me trouver si besoin, ne t’inquiète pas, c’est dur le collège mais tu vas t’intégrer !

─ oui Madame, merci, bon week-end…

S’ils sont là, je suis cuite…comme un sinistre mantra qui tourne en boucle dans son esprit lorsqu’elle descend les escaliers, qu’elle sort du bâtiment annexe et traverse la cour désertée.

Sur le seuil du portail en fer du collège, elle hésite.

Avançant d’un pas, elle tourne la tête à gauche, « les 3 connards » sont là…Bordel…

Mais dans le quart de seconde qui suit, elle voit le sourire victorieux peint sur leurs visages s’effacer.

Une clameur éclate à droite, en un instant elle voit, médusée, l’ensemble de sa classe l’entourer comme un rempart humain.

Une main puis plusieurs s’envolent dans les airs pour venir gifler, agripper les trois adversaires qui font face.

Une bagarre éclate tandis que Juliette est tirée à l’arrière de ce cercle compact pour une main ferme et douce.

Puis une voix masculine, lui glisse à l’oreille :

─ allez, viens, on se tire, j’te raccompagne…

Julien, Comme un signe du destin, un clin d’œil de l’Univers et accessoirement son voisin de rue.

Tremblant de tous ses membres, elle est incapable de parler et se contente de hocher la tête.

Il doit comprendre son silence et ne prononce aucun mot pendant tout le trajet.

Il la guide simplement dans le dédale des rues du centre-ville en laissant sa main dans la sienne, comme on tient un enfant.

Juliette est sonnée par ce qu’elle vient de vivre.

Elle a eu peur, se sent salie par ces gestes déplacés sur ce corps qui a subi l’offense, mais aussi tellement reconnaissante à ces ados, presque encore des enfants qui se sont battus pour la défendre elle, la petite nouvelle : juste parce qu’elle est l’une des leurs.

Et puis, une partie d’elle ne peut s’empêcher d’être troublée par cette chaude main masculine qui recouvre entièrement ses doigts.

Elle apprendra peut-être à aimer cette ville finalement !

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